Je vous relaie la lettre d'un chômeur en fin de droit.
Lettre ouverte
Mme le ministre du Travail,
M. le président de la République,
M. Daudigny sénateur de l'Aisne,
M. Delatte député de la 3 ième circonscription de l'Aisne,
M. Saubot président de l'UNEDIC,
M. Suquet médiateur Pôle Emploi des Hauts de France,
Madame, messieurs
Puisque vous êtes sur tous les fronts de la dérégulation du marché du travail, je veux profiter de cette période de résolutions pour vous raconter une histoire. Je pense qu'elle enchantera vos pensées en cette période et allégera l'ambiance un peu lourde du marasme économique.
Il était une fois un chômeur arrivant à la cinquantaine qui décide de créer une entreprise de formation dans l'Aisne, territoire dévasté, ne bénéficiant d'aucune politique publique sérieuse, subissant la déprise industrielle, la misère, et parfois la rapacité de ceux en place, tuant toute évolution pour continuer à bénéficier de l'argent qui circule. Pourquoi cette idée de formation? Parce qu'il manque un peu partout, et surtout dans l'Aisne, d'une offre de formations personnalisées. Bien entendu pour apprendre à taper un texte dans word, il y a pléthore d'offres, mais s'il manque une capacité particulière (par exemple, lier word à la base de données de l'entreprise pour faire un mailing ou en instiller l'idée pour augmenter la productivité, en formation d'une 1/2 journée), l'offre est pratiquement nulle. Notre utopiste pensait se positionner sur ce créneau. Il est vrai que ce n'est pas industrialisable, que cela représente un travail constant une formation toujours sur mesure plus performante pour l'apprenant. Le travail ne lui fait pas peur. 35 heures, il le fait 2 fois par semaine depuis 30 ans, même quand il était salarié, sans compter ses heures supplémentaires dont il n'a jamais tiré une seule rémunération.
Au moment de la création de cette utopie appelée entreprise de formation, les lois changent et il n'est plus possible pour les petites structures de prétendre aux DIF ou autres nouveaux dispositifs le remplaçant. Pour lutter contre les mauvais organismes et ceux qui trichent en drainant une grande partie des fonds de la formation professionnelle, il a été décidé de demander aux structures de suivre un parcours de certification pour en bénéficier. Cela part d'une très bonne idée si l'on est déconnecté de la vraie vie, que l'on vit dans les dossiers et que l'on fait semblant de ne pas voir. Dans les faits, seules les grosses structures, celles drainant beaucoup de crédits de la formation professionnelle, et également celles qui trichent beaucoup (quelle coïncidence), peuvent toujours en bénéficier car leur volume d'affaire rend rentable la procédure coûteuse de certification. Nous pourrions en parler, car notre utopiste a vécu dans 2 secteurs différents une certification iso, mais ne digressons pas.
Ainsi les structures qui drainent les fonds en trichant ont les moyens de cette certification et peuvent continuer, tandis que les artisans honnêtes non. Dire que la taille de l'entreprise permet de garantir la qualité revient à encenser mac Donald et dénigrer le cuisinier indépendant. Mais peu importe, tout le monde sait que ceux qui ont de l'argent sont au-dessus des lois, car ils peuvent les contourner ou les faire modifier. Si vous êtes capable d'influencer une mutuelle, vous êtes capable de vous construire un patrimoine immobilier d'un 1/2 milliard grâce aux mutualistes sans que la justice y voit un problème, mais si vous êtes un artisan, 500 euros par mois d'ASS pour juste vivre au delà de 12 mois d'activité sans revenu, c'est déjà de trop pour la loi. Pour bien réaliser, 1/2 milliard représente 83 333 années d'ASS, une échelle de temps géologique. Comme dans tous les secteurs, des entreprises existent qui assèchent le marché de la formation. Elles sont certifiées et sous-traitent à vil prix, sans compétences, à des pauvres indépendants vivants sous le seuil de pauvreté. Le miracle français en quelque sorte. Elles doivent être de ceux qui réussissent, contre ceux qui ne sont rien. Alléluia.
Pour tricher sur les chiffres et présenter de beaux bilans politiques, on sacrifie des vrais gens pour ne pas avoir l'air ridicule. Ce sont des personnes, mais elles présentent tellement moins bien que des tableaux excel et leurs camemberts colorés. Comme les dictateurs qui tuent les opposants pour pouvoir affirmer qu'ils sont la volonté du peuple et que personne ne s'oppose sauf les terroristes.
Un rapport d'information du sénat sur la problématique du retour à l'emploi 1, parle de conserver l'allocation ASS avec des REVENUS d'activité. Le site service-public.fr 2 cite noir sur blanc (ou plutôt bleu sur blanc)
- le Décret N° 98-1070 du 27 novembre 1998 relatif aux modalités de cumul de certains minima sociaux avec des REVENUS d'activités,
- l'Instruction N° 2017-32 du 19 juillet 2017 relative au cumul de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) avec les RÉMUNÉRATIONS d'activités reprises à compter du 1er sept. 2017
Tout laisse croire que nous parlons de REVENUS d'activité et qui serait contre? Une fois qu'une personne gagne sa vie avec son activité elle n'a plus besoin de la solidarité nationale. Quelle personne saine d'esprit aimerait rester à survivre avec 500 euros par mois (alors même que le seuil de pauvreté est fixée à plus de 800 euros) si elle pouvait gagner plus?
Mais tout cela n'est que mensonges pour ne pas avoir à rougir devant les questions gênantes et se donner un vernis social. Dans la réalité, Pôle Emploi oppose la circulaire DGEFP N° 2006-40 de 2006 qui n'a pas été modifiée selon ses dires et qui affirme, noir sur blanc là, "Les activités non salariées sont réputées constituer une activité professionnelle d'une durée au moins égale à 78 heures par mois. Elles bénéficient donc du dispositif d'intéressement forfaitaire" [qui se limite à 12 mois]. Là est le tour de magie : nous ne parlons plus de REVENUS, juste d'activité. 12 mois d'activités, même sans revenus fait perdre le bénéfice des ASS. Pour avoir le droit aux ASS, il faut ne rien faire.
Il n'y a que peu de possibilités face à ces injonctions paradoxales :
- le pouvoir exécutif (via le décret) et législatif (le rapport du sénat) mentent,
- Pôle Emploi en opposant une vieille circulaire (opposable à un particulier? une circulaire? vraiment?) de 2006 en affirmant qu'elle est inchangée (malgré des textes de 2017) ment,
- le pouvoir (exécutif et législatif) n'est pas capable de faire parvenir aux gestionnaires de la misère la volonté des représentants de la nation, laissant broyer du pauvre dans le silence des territoires abandonnés. Pôle Emploi ne sachant pas que les représentants de la nation parlent de REVENUS, continuent à broyer des pauvres sans REVENUS en appliquant ce qu'il pense être la loi.
- personne ne ment et nous sommes juste dans le domaine du non-dit et de la périphrase avec, in fine, un écrasement des pauvres qui peinent à s'en sortir car ils sont tenus pour responsables.
Mais revenons à notre conte de Noël. Voilà notre vieux, chômeur, se retrouvant devant ce dilemme. Que faire? À 50 ans, la probabilité de trouver un travail est faible car on est déjà vieux à 40 ans. Le territoire est dévasté. Il décide de persévérer en espérant trouver un marché, le fou. Premier écueil, bataille avec Pôle Emploi pour bénéficier des ASS parce que son activité ne rapporte rien pour le moment, il réussit en persévérant. Cela prend du temps, de l'énergie, du moral. Le temps passe et l'activité a du mal à décoller. On ne peut pas dire que la croissance soit folle. Il arrive au bout de la mesure favorisant la reprise d'activité : 12 mois. Malgré le fait qu'il n'a jamais perçu de revenus de cette activité, le versement des ASS cesse parce que c'est la loi (ou pas). Il n'a plus aucune rémunération. S'il était inscrit à la maison des artistes et tentait de vendre des dessins sur les marchés, il aurait pu continuer à percevoir ces ASS jusqu'à sa mort, mais avec une vraie entreprise qui tente de créer un véritable emploi et de l'activité, ce n'est pas possible. Une sorte d'égalité devant la loi que seuls les dominants peuvent comprendre.
Comme son activité ne lui permet pas vivre et que la loi ne lui permet plus de bénéficier des ASS, il doit cesser son activité et obérer entièrement ses possibilités de pouvoir en vivre un jour. La réponse de Pôle Emploi est pleine de cette morgue de classe, de cet inconscient bureaucratique gérant le troupeau : " je vous invite à réfléchir à la pertinence de conserver une activité non salariée qui ne vous permet pas de dégager un revenu suffisant vous permettant de ne pas être dans une situation complexe du fait de la suspension des versements de l'ASS."
Des sociétés aujourd'hui cotées en bourse mettent des années à trouver une rentabilité, des sociétés comme Airbus se voient abonder par l'état en milliards (des millénaires d'ASS) parce que "too big to crash", d'autres qui dégagent du bénéfice (et licencient) se voient offrir des milliards de CICE pour les 'soutenir', une mutuelle permet à une relation d'un administrateur de se constituer légalement un patrimoine immobilier de 1/2 milliard, mais un pauvre chômeur en fin de droit de 50 ans, donc pratiquement inemployable sauf s'il est le fils de, ne peut bénéficier de ces 500 euros pour tenter de créer son activité au delà de 12 mois, peu importe s'il n'arrive pas encore à en tirer des revenus : "si tu n'as pas réussi à dégager un revenu en 12 mois, tu as raté ta vie ".
Voilà donc un chômeur supplémentaire de plus de 50 ans en catégorie A, virtuellement inemployable, qui va s'éloigner chaque jour un peu plus de l'employabilité. Son activité ne l'empêchait pas de rester à l'affût d'un emploi pouvant lui être accessible, lui permettait de rester dans la dynamique de l'emploi, de rencontrer des gens, de nouer des relations. Mais cela est terminé, en période de Noël, coïncidence fâcheuse. Comme sa belle mère n'est pas députée, il ne peut pas prétendre à un poste d'assistant parlementaire. Retour dans la misère terminale.
Bonne année en République Démocratique de France. Mais qu'il ne s'inquiète pas, le gouvernement s'efforce de choyer les chefs d'entreprises, ceux qui méritent, ceux qui peuvent licencier sans que cela ne leur coûte trop cher. Parce que c'est cela qui crée de l'emploi : pouvoir licencier, pas comme ces chômeurs qui ne font rien. Et s'ils décidaient de faire quand même, contre vents et marrées, c'est à leurs risques et périls, sans filet pour eux. S'ils tentent quand même, on leur explique bien qu'il faut qu'ils restent à ne rien faire, à leur place de miséreux. Le miracle français. Que vous soyez puissant ou misérable disait-on il y a quelques siècles. Le bon sens ne meurt jamais.
Bonne année 2018.
Je vous prie d'agréer, Madame, Messieurs, l'expression de mon profond respect.
1 https://www.senat.fr/rap/r04-334/r04-3349.html
2 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F12484